Histoire socio-environnementale du Ruisseau Jackson

SI LE RUISSEAU POUVAIT PARLER
Histoire socio-environnementale du ruisseau

Ruisseau Jackson Aire Naturelle Protégée (RJANP) publiera cette année une courte histoire de son bassin versant avec quelques références à notre bassin versant étendu – la rivière Simon. La publication sera produite grâce à l’Association historique de Morin-Heights (MHHA).

Si le ruisseau pouvait parler… Le texte en préparation est riche en informations – souvent insoupçonnées. On sait que l’histoire du Ruisseau Jackson est intimement liée à celle de la colonisation des Pays-d’en-Haut puis au développement des activités de villégiature dans les Laurentides au XXe siècle, mais savions-nous que Britonville, le premier développement agricole du canton de Morin, était situé dans le secteur Côte St-Gabriel/Hamilton/Chemin Wood, à cheval sur le territoire de Morin-Heights et de Saint-Sauveur? Savions-nous que la potasse était sans aucun doute la première source de revenus importants pour la plupart des pionniers de la région? Savions-nous qu’il y avait deux grandes scieries au centre-ville de Morin-Heights, et au moins une plus petite dans le bassin versant du ruisseau Jackson? Savions-nous que le lac Daïnava tire son nom d’un mot lithuanien qui signifie « eaux courantes » et que ce domaine a été vendu à un groupe de Lithuaniens canadiens par Carl Seale en novembre 1956. Ils voulaient en faire un centre lithuanien de villégiature estivale.

Le bassin versant est sur les territoires traditionnels des Algonquins et des Anichinabés (Anishinabewaki (ᐊᓂᔑᓈᐯᐗᑭ)). Il offre de magnifiques paysages naturels et comprend de nombreuses zones humides importantes qui jouent un rôle central dans le maintien de la qualité de l’eau pour des milliers de citoyens. Ce cadre naturel abrite également une communauté florissante avec ses villages, associations, festivals, infrastructures récréatives et… des résidents très fiers. Au fil des ans, la région s’est bâti une excellente réputation auprès des amateurs de tourisme nautique. Les résidents et les visiteurs s’adonnent à toutes sortes d’activités récréatives, comme la natation, le kayak et la pêche. Il y a même des spas le long des rives de la rivière Simon.

Le ruisseau Jackson est un sous bassin versant de la rivière Simon et partage une histoire commune. Les historiens de l’environnement qui étudient l’interaction humaine avec le monde naturel, parfois sur de très longues périodes, soulignent le rôle que jouent les affaires humaines dans l’influence de la nature et vice versa. Ils diraient certainement que les deux bassins versants partagent une histoire très similaire – même si le passé de la rivière à Simon est probablement plus riche au plan social. La rivière traverse en effet des villages et un plus grand nombre de fermes et de propriétés.

L’exploitation forestière et l’agriculture généralisées dans les années 1800 et au début des années 1900 ont modifié les paysages de la région de manière importante. Au cours de cette même période, la construction de barrages était répandue, entraînant la création de certains lacs artificiels qui étaient utilisés par les bûcherons pour déplacer les grumes – nos célèbres pitounes – vers les moulins.

Vers 1895, le chemin de fer du Canadien National a permis aux vacanciers de la région de Montréal d’accéder à Morin Flats (ancien nom de Morin-Heights) en train et par conséquent à la région entourant le ruisseau. À cette époque il servait de source d’eau pour de nombreuses fermes. Au début, les familles qui venaient passer l’été dans la région, pour profiter de l’air pur de la campagne, s’installaient avec domestiques et bagages dans des pensions situées au village.

Les premières maisons secondaires furent bâties en 1900-1905 par les familles Binns et Henderson. On s’installa autour du lac Écho, le principal lac du bassin versant.  Ces premières maisons, dont certaines assez éloignées de la rive, avaient toutes une vue magnifique sur le lac. C’était l’époque toutefois où les champs et les troupeaux de moutons dominaient le paysage.

Dès lors, ces lacs devinrent de plus en plus attrayants pour les villégiateurs et la végétation commença lentement à envahir ce « pays des chalets » dans les années 1930 et 1940. Aujourd’hui, on peut voir de très vieux arbres le long des routes principales et dans certains terrains boisés. Ces arbres sont les monuments de cette époque et un rappel que de vastes forêts vierges existaient à l’époque.

Arrêtons-nous ici, ne parlons pas des années 1950 et 1960 et de l’arrivée de musiciens de partout en Amérique du Nord, ne parlons pas encore non plus des années 1970 et 1980 – les années du boom autoroutier! À partir de cette époque, la région a progressivement été redécouverte comme une communauté-dortoir pittoresque offrant un excellent accès à la nature et à un style de vie plus calme et plus tranquille que celui de Montréal. Le développement de Ski Morin Heights en 1980 va modifier cette perspective et il en va de même de développements résidentiels comme celui du Golf Balmoral et des Bories. On assiste maintenant à une transformation résidentielle exponentielle – à partir du début des années 2000. La tendance se maintient et la pandémie de COVID-19 n’a rien fait pour aider.

L’Institut de la Statistique du Québec a fait paraître en 2021 les données démographiques 2019-2020 qui sonnent comme un signal d’alerte pour la MRC des Pays-d’en-Haut. La région est victime d’un véritable boom immobilier. L’étalement urbain ne recule pas et avec celui-ci, plusieurs enjeux environnementaux et de qualité de vie. Le niveau d’artificialisation des sols s’accélère de manière inquiétante. Les conséquences environnementales de ce phénomène sont bien connues : destruction de l’habitat d’espèces animales ou végétales, risques d’inondation accrus, amenuisement de la qualité de l’eau, etc. Face à ce constat, Ruisseau Jackson (RJANP) considère la problématique de la sobriété foncière au cœur de son engagement en matière d’aménagement responsable du territoire. Mathieu Régnier de l’association citoyenne se pose la question; « la colonisation devrait-elle s’arrêter quelque part – aussi belle soit notre histoire de développement et aussi fan soit-on du Curé Labelle ». Pour résidents de la région, la réponse à cette question est claire : oui!

Plan d’une partie du Township de Morin (1859).