RUISSEAU JACKSON
Par Mat Madison, biologiste
(traduction de l’anglais) Dans un précédent numéro de Main Street, je vous avais promis de vous raconter l’histoire d’une initiative locale de protection de la nature.
Cette histoire commence il y a plus de 100 ans, lors de la création de L’Association des propriétaires du Lac Écho (Morin-Heights). Alors que l’on construisait des maisons en bois rond, les propriétaires ont décidé de s’unir et de créer cette organisation à but non lucratif pour améliorer la vie de la communauté lacustre ainsi que celle des environs. Ils organisaient alors des fêtes et des activités, et même une course annuelle de canot que l’on pourrait qualifier de « régate ». On le voit, dès sa création, l’association s’est impliquée au niveau communautaire pour protéger l’environnement et le lac.
Au fil des décennies, l’intérêt des propriétaires du lac Écho s’est étendu au-delà des rives immédiates du lac pour se porter sur l’ensemble du bassin versant et ceci, tout particulièrement en amont. En effet, pour protéger un lac, il faut d’abord comprendre ce qui y est transporté par ses affluents. L’état des lacs en amont, mais aussi celui du cours d’eau aux abords d’une sablière, sont devenus certains des enjeux auxquels l’Association du Lac Écho consacrait du temps, de l’énergie et des fonds, afin d’en acquérir une bonne connaissance et de lutter contre la pollution. Une partie de l’association s’est alors muée en groupe environnemental, défendant la conservation de la nature et luttant contre ce qui pouvait nuire à la qualité de l’eau. Cet esprit combatif a nui à l’engagement citoyen dans son ensemble. Les membres de l’association se sont lassés des incessantes batailles environnementales, et leur participation à la mission de l’association a peu à peu diminué.
En 2014, un jeune membre de l’Association, Mathieu Régnier, a pensé qu’il était grand temps de changer les choses. Il a défendu l’idée de développer une perspective positive sur l’avenir du bassin versant, une perspective reposant sur la recherche d’avantages pour l’environnement, mais cette fois sur la base d’activités constructives et inspirantes : activités communautaires, apprentissages par la découverte, événements de sensibilisation environnementale, etc. Sa vision positive a permis d’augmenter significativement l’implication citoyenne et a mené à la création de Ruisseau Jackson : Aire naturelle protégée (RJANP). Derrière RJNAP, la vision d’une mosaïque d’espaces verts qui s’étendent bien au-delà des abords immédiats du lac, mais plutôt à tout le bassin versant dont le lac Écho fait partie – le bassin versant du Ruisseau Jackson.
Les premières activités de RJANP commencèrent par la découverte de cette zone mal connue. J’ai participé à une évaluation de la biodiversité et à une caractérisation écologique à grande échelle de cette aire de 20 kilomètres carrés. Le territoire d’intérêt s’étend de Morin-Heights à Mille-Isles en passant par Saint-Sauveur. Nous avons découvert des terres humides de grande importance pour la région, autant en termes de richesse en habitats et en biodiversité qu’en matière de services écosystémiques tels que filtration de l’eau ou contrôle des inondations. Nous y avons aussi trouvé de superbes forêts de feuillus peuplées d’oiseaux et de plantes, ou encore de profondes vallées de conifères où se réfugient les chevreuils pendant les longs hivers laurentiens.
Cette évaluation a fourni à RJNAP l’information nécessaire pour entreprendre sa plus grande tâche à ce jour : rassembler et mobiliser les gens. L’association a organisé des marches en nature avec des biologistes et des bioblitz (études biologiques participatives) avec des professionnels de différents cégeps et universités. La recette était simple : inciter les gens à agir en adéquation avec leurs valeurs sociales et ceci, en fonction de ce qu’ils découvrent et apprennent par eux-mêmes. Pour cela, nous devions leur donner envie de venir à nous et leur montrer la valeur du bassin versant, notamment en raison de son importance significative pour la qualité générale du lac Écho.
C’est ainsi que nous avons récemment accompli une grande réalisation. En 2018, sous la direction de Jane Hope, qui possède une propriété au lac Écho, RJANP a soutenu la fondation du Lac Echo Buyers Club (LEBC) – club des acheteurs du lac Écho – et recueilli des centaines de milliers de dollars. Ces fonds ont été utilisés pour dédommager le propriétaire de l’un des plus importants terrains de la région sur le plan de la sensibilité écologique. En échange, ce propriétaire s’est engagé à exploiter une partie des terres, mais à en protéger la plus grande partie du développement domiciliaire. Cela a mené à la création, en 2019, de la Réserve naturelle ruisseau Jackson. Cette zone protégée de 215 acres a ensuite été offerte à la municipalité de Morin-Heights. Vous pourrez en apprendre plus sur le sujet sur le site web de RJANP, mais essentiellement, et comme l’expliquait Madame Hope « l’aventure se raconte presque comme une blague : un homme politique, un promoteur immobilier et une protectrice de l’environnement se rencontrent dans un bar »…
Ce que je cherche ici à démontrer, c’est que ce n’est pas suite à des batailles acrimonieuses ou suite à de féroces revendications que nous avons réussis. Bien au contraire, ce projet doit tout à l’amour de la nature et au respect des communautés avoisinantes. Évaluations environnementales, découvertes citoyennes et connexion avec la nature sont pour nous les ingrédients d’une recette réussie. RJANP n’a pas recueilli ces milliers de dollars avec des images de coupes à blanc, d’étalement urbain sauvage ou d’eaux usées. Non… Poussés par leur amour pour la région, ensemble, les gens ont pris part à une cause qui leur est chère. Par amour, toujours par amour.
(Reproduction autorisée par Main Street, numéro de juin 2019)